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Vous cherchez la sagesse ? Eh bien, essayez !

7 février 2021

Photo par JJ Jordan sur Unsplash

Quel rapport entre la sagesse et l’expérimentation ? J’ai été frappé, récemment, par l’étymologie du verbe «  essayer  ».

Notre excellent Trésor de la langue française nous rappelle que «  essai  » nous vient du latin exagium (grec exagion), qui était le pesage, le poids (d’un métal précieux, notamment). Donc essayer, ce serait soupeser, évaluer quelque chose1.

Oui, mais ce n’est là qu’une partie de l’histoire…

Essayer, soupeser, goûter, savoir?

En italien, un essai (au sens de «  première production  » d’un artisan/artiste, ou de «  texte qui approche un sujet sans viser à l’exhaustivité  »), se dit saggio. Et là, on dirait qu’on a un curieux doublet, dans le sens que le mot aurait bien la même forme et sans doute la même origine indo-européenne, mais qu’il a pris un chemin différent.

Le mot essai dans ce sens remonterait au Latin sapere, qui est dans le même ordre d’idées, mais très différent…

Sapere veut dire soit «  avoir du goût ou une odeur  » (pour un met), terme qu’on trouve toujours tel quel dans l’italien moderne2.

On le retrouve aussi dans le verbe italien assaggiare (ad, «  vers  » et sapere) donc «  goûter  » un met, précisément; et le substantif assaggio: «  l’action de goûter  », «  avant-goût  », et au sens figuré: «  aperçu  » (d’un sujet).

Mais sapere, voulait dire (et veut toujours dire) savoir, au sens d’exercer sa sagesse.

Définition: sagesse

Connaissance du vrai et du bien, fondée sur la raison et l’expérience.

Dér. de sage; suff. -esse.

Sage: Du lat. pop. sabius, issu de sabidus par changement de suff., altér. du lat. impérial sapidus « qui a du goût, de la saveur », au iv^e s. (…) « sage ».

TLFi (Sagesse, Sage)

C’est comme si les deux sens de l’odeur ou du goût, étaient devenus la métaphore de la capacité de l’esprit à appréhender le monde.

L’université, n’est pas la vraie vie

En somme, on n’acquiert par la sagesse uniquement en respirant la poussière des vieux livres, ou en usant ses fonds de culotte sur des bancs d’université, ou faisant une thèse de doctorat. Dans la mesure où une université offre des laboratoires, elle peut se substituer quelque peu à la vraie vie…

Celui qui n’est jamais sorti d’une université…

Comme avait dit une jour un professeur d’analyse mathématique à l’Ecole polytechnique, en montrant la couverture d’un de ses livres de cours, qui s’était fort bien vendu:

  • «  Vous voyez ce qu’il y a sur la couverture de ce livre? Un avion.

  • Vous savez ce que c’est? Ca s’appelle du marketing.

  • Vous savez ce que mon assistant – celui qui n’est jamais sorti d’une université – avait voulu mettre? Une fleur!  »

Ce professeur avait travaillé aux Etats-Unis, dans une société militaire américaine qui fabriquait des missiles guidés.

Faut-il s’en étonner? Les tous bons étaient ceux qui avaient déjà fait carrière dans le privé.

La notion qui semble prévaloir dans certains milieux est que le summum de la connaissance serait dans les universités. Les meilleurs comptables, avocats, ingénieurs, médecins, historiens, etc. seraient forcément dans les universités ?

Quelle idée dérisoire. L’université est, au mieux, le lieu où ceux qui ont acquis l’expérience de la vraie vie, sont revenus rapporter ce qu’ils en avaient «  goûté  » ou «  essayé  ».

C’est pourquoi il paraît une erreur que des doctorants fassent une thèse (en tout cas dans les disciplines pratiques ou technologiques) ou que des professeurs soient mis à l’essai ou nommés, uniquement en ayant fait un cursus universitaire; et ce sans avoir fait d’abord convenablement l’expérience de la vraie vie là-dehors.

On ne fabrique souvent de cette façon que des «  suiveurs  » qui ont un trop grand respect de l’autorité intellectuelle, et qui ainsi ne vivent que de l’expérience de leurs prédécesseurs. On finit ainsi par étouffer les disciplines sous un fatras académique qui est de plus en plus décorrélé du monde réel (démodé), qui finit par ralentir le reste de la société. Dès lors, c’est l’université qui se retrouve à la traîne de sa discipline.

À contrario, une personne qui n’est pas entrée dans une l’université (ou qui n’en a jamais eu de diplôme) n’aurait aucun complexe à avoir, surtout par rapport à une personne qui n’en est jamais sortie.

Ceux qui ne sont jamais sortis d’une université…

Que dire, de plus, de ces malheureux qui sortent de leurs labos d’épidémiologie ou de biochimie, pour donner des leçons de politique ou de morale aux citoyens, à l’occasion d’une «  pandémie  »?

Qu’ils sont des victimes de leur manque d’expérience ?

Faut-il s’étonner ensuite, de leurs erreurs et cafouillages… et surtout de leurs difficultés à se remettre en question ?

Essayer, c’est savoir

L’idée qu’il faille demander une licence universitaire pour avoir le droit d’essayer et *accéder à la sagesse, comme si on devait aller à l’Etat demander un permis de construire, est ridicule.

Il n’y a que quelques disciplines pour lesquelles il y a des limitations compréhensibles imposées par l’Etat, de pratiquer ou conseiller: comme construire un pont d’autoroute ou soigner un patient – parce que cela met en jeu la vie de personnes.

Mais à part pour cette exception (qui doit être interprétée de la façon la plus stricte) ceux qui rentrent dans ce genre de logique du monopole universitaire de la connaissance appartiennent en général à deux catégories :

  • Des gens qui ne sont jamais sortis d’une université, et qui vivent secrètement avec un complexe d’infériorité vis-à-vis du reste de la population (complexe qu’ils masquent derrière leur comportement hautain);
  • Une certaine catégorie de politiciens ou de journalistes qui ont un besoin pathologique de se prosterner devant un titre de professeur; pour la bonne raison que même si la nature les a dotés du sens de la vue, du goût et de l’odorat, et même d’un cerveau, ils sont trop lâches pour s’en servir; c’est pourquoi ils ont besoin d’en référer à des autorités intellectuelles3.
Rions de ces théoriciens arrogants (Photo de David Siglin sur Unsplash)

Donc la prochaine fois que quelqu’un veut vous contester le droit d’accéder à la sagesse, sous prétexte que vous n’avez pas reçu la licence d’une université, vous êtes dans votre plein droit de lui rire à la figure.

Que les éclats de rire noient leurs divagations.

Qu’ils sont bien fous, ces malheureux qui prétendent faire taire les autres en croyant avoir tout compris de la vie… sans même l’avoir essayée.

Et respectons ceux qui, après avoir fait l’expérience de la vraie vie, sont retournés la partager dans des écoles ou des universités.


  1. Définition de essai, TLFi. 

  2. Sapere (italien): dictionnaire Treccani en ligne 

  3. Lâcheté intellectuelle: C’est une référence à l’essai «  Qu’est-ce que les Lumières?  » d’Emmanuel Kant (1784)